mercredi 3 décembre 2014

"Ce voleur qui..."
Said Mekbel, journaliste kabyle, né le 25 mars 1940 à Vgayet en Kabylie, assassiné le 3 décembre 1994 à Alger. Saïd échappe à un premier attentat le 8 mars 1994 à la sortie de son domicile. Mais le 3 décembre 1994, il est de nouveau victime d'un attentat dans une restaurant proche du journal à Hussein Dey. Touché de deux balles dans la tête, Said succombera à ses blessures le lendemain à l'hôpital de Ain Naâdja d’Alger. Il sera enterré chez-lui, au cimetière de Sidi Mohand Amokrane à Vgayet. Son dernier billet "Ce voleur qui" publié le jour de son assassinat fera le tour de la presse mondiale.
03/12/2014 - 15:07 mis a jour le 03/12/2014 - 14:59 parLa Rédaction
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« Ce voleur qui…
Ce voleur qui, dans la nuit, rase les murs pour ­rentrer chez lui, c’est lui. Ce père qui recommande à ses enfants de ne pas dire dehors le méchant métier qu’il fait, c’est lui.
Ce mauvais citoyen qui traîne au palais de justice, attendant de passer devant les juges, c’est lui.
Cet individu, pris dans une rafle de quartier et qu’un coup de crosse propulse au fond du camion, c’est lui. C’est lui qui, le matin, quitte sa maison sans être sûr d’arriver à son travail. Et lui qui quitte, le soir, son travail sans être certain d’arriver à sa maison.
Ce vagabond qui ne sait plus chez qui passer la nuit, c’est lui. C’est lui qu’on menace dans les secrets d’un cabinet officiel, le témoin qui doit ravaler ce qu’il sait, ce citoyen nu et désemparé…
Cet homme qui fait le vœu de ne pas mourir égorgé, c’est lui. Ce cadavre sur lequel on recoud une tête décapitée, c’est lui. C’est lui qui ne sait rien faire de ses mains, rien d’autres que ses petits écrits, lui qui espère contre tout, parce que, n’est-ce pas, les roses poussent bien sur les tas de fumier.
Lui qui est tous ceux-là et qui est seulement, journaliste. »
Ce billet prémonitoire de Saïd Mekbel, directeur et billettiste du journal le Matin, est paru le jour de son assassinat, le 3 décembre 1994. Ce jour-là, il est midi, Saïd Mekbel déjeunait avec une collègue du Matin, Nissa Hamadi, à la pizzeria Marhaba («  bienvenue  » en arabe), rue Belhouchet, à Hussein-Dey, à moins d’une cinquantaine de mètres des locaux du journal, avant qu’un homme surgissant des toilettes ne lui tire une balle dans la nuque. Saïd n’est pas tombé. Il est resté assis, tenant entre ses mains un couteau et une fourchette, la tête légèrement inclinée comme s’il ­regardait le contenu de son assiette. Il respirait encore quand, accourus avec deux collègues du journal, Abdelwahab Djakoun et le photographe Hebbat Wahab, dans ce restaurant vidé soudainement de ses clients habituels, nous lui avons demandé de tenir avant l’arrivée des secours. Le crime est resté impuni et n’a jamais été revendiqué.
Saïd Mekbel était le 33e journaliste assassiné depuis qu’un certain ­Mourad Si Ahmed, dit Djamel Al Afghani, alors «  émir  » du GIA (Groupe ­islamique armé), avait ­décrété, en 1993, que «  les journalistes qui combattent l’islam par la plume périront par la lame  ». Trois autres journalistes du Matin, Amar Ouagueni (trente-six ans), Saïd ­Tazrout (trente-sept ans) et Naïma Hamouda (vingt-huit ans) tomberont à leur tour sous les balles des tueurs islamistes.