mardi 26 novembre 2013

Lwennas, tu n’es pas mort !

Lwennas, tu n’es pas mort !

26 novembre 2013 11:56

Matoub Lounès. Photo DR
Matoub Lounès. Photo DR
« Le poète assassiné ne meurt pas, ses vers gagnent en puissance » Pablo Neruda
Lorsque le poète, par la magie de la création artistique, s’érige en porte parole de la cause d’un peuple frappé d’illégitimité et vidé de son identité ancestrale, qu’il est l’emblème charismatique d’une revendication porteuse de liberté et de démocratie, alors le chant devient profane ou sacré…Tout dépend de quel coté on se place.
Lwennas Tu murissais tes propos, affutais ton arme et dégainais ton mandole, pour hurler à la face du monde ton refus d’être phagocyté par un pouvoir arabo-musulman basant son existence sur notre déni identitaire et notre déclin.
Perturbateur agité, adulé ou haï, tes détracteurs s’en tiraient au mieux avec cette éloquente réponse : « Je ne joue pas au martyr, je le suis », tant il est vrai qu’il n’y a pire outrage que de vivre sans exister.
Ici, un inconnu aux mains nues, défie la machine de guerre sur la place Tiananmen, en opposant aux chars de l’armée …sa seule volonté.
Là, un athlète noir, poing levé, tête baissée tandis que retentit l’hymne américain, exprime par la symbolique du geste, son hostilité à la politique ségrégationniste qui asservit son peuple.
Là encore, un insoumis, enfant terrible de la Kabylie, sacrifié sur l’autel de l’intolérance, pour avoir crié trop fort « sa soif de justice et de réparation pour les siens »
Ces actes de bravoure et de résistance s’inscrivent dans le cœur des opprimés et renvoient au monde une leçon magistrale : Le triomphe de l’homme sur la barbarie.
Lwennas, je repense à cette fascination qu’exerçait sur toi ce poète chilien, à qui la junte militaire coupa les doigts pour l’empêcher de jouer sa musique, synonyme de son engagement. Était-elle liée à l’horrible supplice ? Au courage de l’homme levant les mains en sang pour entonner un hymne ? A sa fin tragique ? Ou n’était-ce que la projection d’un écorché vif auquel se posait déjà la question du choix entre mourir pour rien ou pour avoir essayé ?
La grandeur des hommes résiderait-elle aussi dans la façon dont ils nous quittent ? Le Cheadresse à son compagnon d’armes une lettre d’adieu expliquant que dans une véritable révolution, il faut vaincre ou mourir, puis démissionne de ses fonctions officielles pour exporter son idéal révolutionnaire vers d’autres champs de bataille. Toi, avant de mourir, tu révèles les scandaleuses couleurs du mensonge avec lesquelles on a enlaidi l’Algérie : « jegren s ddin d tεaravt tamurt n Lzzayer… i llasel samesn udem… ». Tu nous assènes un message affligeant de vérité, « amsedrar ur ihekkem xas yeghra yezwer »,…et nous laisses orphelins, dans un pays ravagé, en proie aux pires incertitudes quant à son devenir pris en étau entre un pouvoir fasciste et une perspective intégriste.
Témoin de ton temps, tu portais dans ton âme et dans ta chair meurtries les stigmates des coups infligés à ton peuple et les arborais avec fierté, comme une blessure de guerre. Le courage que tu incarnais te manquait-il pour supporter l’affront suprême ? La reddition des lâches que tu savais prochaine « …amendil ur t-id-udregh… », la récupération de tamazight à des fins partisanes et, surtout, la mort annoncée de notre rêve de construire « toutes et tous une Algérie meilleure ». ?
Le constat est sans appel : La lame de fond, censée provenir des profondeurs du pays en ralliant toutes les forces progressistes, n’aura englouti que nos espoirs chimériques de construire un jour une Algérie plurielle, fraternelle et moderne «…des montagnes du Djurdjura jusqu’au fin fond du désert… ». Le rêve d’une Algérie ouverte et tolérante à finalement été assassiné. L’Algérie qui triomphe aujourd’hui, c’est l’Algérie qui recule, celle dénoncée par Djaout, celle sortie des entrailles d’un pouvoir pervers et falsificateur d’histoire, pour notre plus grand malheur. Son regard s’est tourné vers le Moyen-Orient épousant de fait les archaïsmes qui donnent à l’Islam son visage le plus hideux pour mieux succomber à cette religion moderne que sont devenus les cours d’une économie indexée sur les richesses d’une manne pétrolière acquise à des pouvoirs mafieux «…win i εarden tachriht n tsekurt ,ur iqqenaε ara… »
« Le greffon ne veut..» toujours «…pas prendre..» et, maigre consolation, « l’ennemi de l’intérieur » les empêche toujours de digérer leur malformation identitaire. Mais c’est seul que le peuple kabyle tente de forcer les portes verrouillées de l’Histoire. « Tasarutt mazal-itt ar tarwa n-baxta », entre les mains de ces usurpateurs qui, jamais, ne lâcheront prise « Aken a s-d-vrun d lmuhal ! »
Ah, si nous pouvions poursuivre notre « regard sur l’histoire d’un pays damné » : La récréation démocratique est terminée…Bouteflika s’est libéré d’une opposition réduite au rang de faire valoir d’une présidence acquise à vie et nous avons perdu la chance historique de vivre une transition démocratique pacifique vers un état de droit. Sur fond d’injustice et de corruption, l’islamisme social prospère et gangrène tous les secteurs de la société. La Kabylie stagne dans la précarité et la marginalisation identitaire et économique. Elle découvre l’insécurité liée à une nouvelle forme de délinquance habilement entretenue par un pouvoir bien décidé à jouer la carte du pourrissement.
Nous, les survivants, devenons spectateurs abasourdis d’un monde Kafkaïen, fait de paradoxes dont nous entrevoyons pourtant clairement la logique : L’argent public finance la mise en chantier d’une mosquée pharaonique, projet applaudi par d’anciens laïcs miraculeusement touchés par la Grâce. Et ce même pouvoir promet, dans un processus de perversion, de dilapider ce qui reste de notre héritage, en favorisant la prolifération de lieux de dépravation pour importer en Kabylie un modèle culturel contraire à notre mode de vie et étranger à nos mœurs… « Amek ara tqavlemt lesnin a sut umeqyas ?.. »
Des appels « fraternels » sont lancés aux auteurs de crimes contre l’humanité au nom d’un Grand Pardon rédempteur, instauré pour réconcilier bourreaux, ayant érigé le meurtre en mode de gouvernance, égorgeurs promis à l’impunité d’avec leurs centaines de milliers de pauvres victimes. Quel autre pays au monde a ce genre de pratiques ??? Le peuple est, lui, forcé d’occulter et de ravaler son traumatisme, au nom de la « rahma ».
Curieusement, lorsque la Kabylie s’embrase sous l’impulsion de sa jeunesse, la violence exercée sur des civils est celle d’une guerre. Des manifestations pacifiques débouchent sur un carnage. Vous, les martyrs d’une autre époque, n’auriez pu imaginer ce que nos nouveaux gouvernants ont fait de votre cause mais Il faut pérenniser le système tortionnaire vaille que vaille, et tant pis si l’imposture revêt aujourd’hui d’autres formes allant même jusqu’à s’enticher de clichés !
Zik tamazirt ulac,ulac ulac , Assagini Yeqwel uqelmun s idaren ! « Eh oui ! » C’est affublé d’un burnous que le président de l’Algérie se dédouane de sa responsabilité dans la gestion de ces événements. Il ne frappe plus dans le dos, depuis qu’il s’est anobli de ses (très) lointaines origines. Mais seulement en face, et avec des balles explosive plus efficaces pour exterminer une jeunesse, oh combien difficile à tuer tant elle est déjà morte. Il vante notre tradition d’hospitalité ( ?) et nous nargue de sa sérénité retrouvée : L’Algérie se porte bien !
Aurait-il, à notre insu, anéanti le dernier bastion de la résistance ? La Kabylie serait-elle définitivement alignée ou décérébrée par la liquidation de ses élites, pensant que l’école Algérienne n’en produirait plus ? Il oublie que nos élites ne sortent pas de son école mais des entrailles de notre société et de notre culture de l’excellence !
HUUUMMMMM, UR TEN-TTAMNET…MA TFEN-TT, A TTENGER TEKFA !
Nous n’entendons plus personne ! Pas même ceux qui louent ta mémoire en des termes falsificateurs : « Poète Algérien d’expression Berbère». Comme si l’officialité faisait la réalité. TOI, la figure de proue du militantisme Kabyle, ressortissant d’une nation sans état, tombé pour ses prises de position courageuses en chantant toutes les vérités te voilà doublement assassiné : par l’Algérie dans le cadre d’un génocide anti-Kabyle, et par tous ceux qui occultent ton identité kabyle !
Nous ne prêterons plus le flanc à la supercherie, d’ou qu’elle vienne ! Accepterons-nous d’être réduits à une vague référence à l’histoire du peuplement nord-africain ou au patrimoine national au même titre que les ruines romaines ? «…Laisserons-nous cette terre ancestrale aux mains de ces tristes sires qui l’ont plongée dans le chaos ?… »
Nous possédons, au delà de la cohésion linguistique et historique, tous les éléments constitutifs d’une nationalité toujours en puissance mais jamais pleinement réalisée, avec le sentiment VOLONTAIRE, d’appartenir à un même peuple. Nous, qui bataillons pour la survie, transcendons nos peurs pour que notre culture ne soit pas confinée dans l’insignifiance car nous sommes une réalité légitime et toujours vivante de ce pays. Notre combat n’est plus d’amener le pouvoir à de vulgaires concessions « am win itseqin i wassif » mais de lui faire prendre acte, à son corps défendant, qu’un peuple a choisi de se réapproprier son Histoire pour reconstruire son destin.
Le message de Kamel Irchane, avec le mot « Liberté » immortalisé avec son sang sur un mur de marbre ne nous renvoie pas seulement à ce que nous fumes : d imazighen, mais aussi à ce que nous serons : des hommes libres, refusant en tant que Kabyles l’allégeance à l’infamie. Nous ne pardonnons pas aux porteurs d’une idéologie de la haine, la dette de sang laissée par 126 « authentiques » enfants de la région, tombés sous des balles assassines dans une indifférence algérienne qui ressemble à une troublante complicité. Notre devoir de mémoire nous impose de conjurer notre sort d’éternels colonisés et de poursuivre notre combat libérateur jusqu’à l’affranchissement total de notre peuple.
Les hasards (prévus) du calendrier ont fait « coïncider » ton assassinat avec la généralisation d’une loi scélérate qui te fit prendre conscience que nous avions gâché nos énergies à nous battre pour un idéal de société perdu d’avance. « a lufan i d-zegwir temghar… ur nettruhu d iseflan af ayen ur ichqan. Ta solution pour garantir notre survie commençait juste à se dessiner sous d’autres formes, la parole de trop : « EDDW-AS A NCHERREG TAMURT ». Fédéralisme peut être, ou, en tout cas toute démarche allant dans le sens de l’instauration d’un état Kabyle. 10 ans après, ce projet n’est plus un choix mais une nécessité, porté par ton frère de lutte, souvent rival car trop semblable, qui en brisant le mur du silence a ouvert la dernière page de l’histoire de notre quête identitaire.
Accusé d’avoir franchi la ligne rouge, le voila contraint à l’exil, (tout comme toi, passé hier sans transition… des casemates ar lgherva, pour avoir osé l’impensable : vouloir rendre à son peuple sa dignité en le guidant vers la voie de l’autonomie. Meurtri dans sa chair, il porte la plus abjecte, la plus ignoble, la plus abominable des blessures humaines : celle « d’être assassiné chaque jour un peu plus ». Toutefois, il a appris à apprivoiser sa douleur pour Ameziane, et puisé dans son inébranlable conviction la force de reconquérir l’espoir, malgré le vide et la détresse. Preuve que les stratagèmes ourdis pour anéantir les hommes pétris de réelles valeurs sont parfois voués à l’échec…Ferhat porte aujourd’hui notre voix sur la scène internationale. « Tameslayt i gh-d-inejern avrid , umi dlan ssdid » a résonné entre les murs de l’ONU, n’en déplaise à l’hydre bicéphale. Nos interlocuteurs sont les représentants d’organisations de défense des peuples autochtones, et notre requête, celle du droit des peuples à disposer d’eux même. Notre cri se soldera forcement, un jour ou l’autre (c’est inscrit dans nos gènes), par l’organisation d’un référendum régional sur l’autonomie de notre Kabylie. Un monde est à construire pour lequel nous avons déjà payé notre part de sang et d’innocence sacrifiée. Le chemin sera tortueux mais, riches de nos erreurs passées, nous resterons sourds aux manœuvres d’intoxication et aux épouvantails brandis pour discréditer notre mouvement, au nom d’une pseudo-homogénéité du « peuple Algérien ».
L’histoire poursuivra inexorablement sa course, opposant aux ténèbres de la dictature la lumière des nouveaux espoirs suscités par la contestation autonomiste. Nous élaborerons et structurerons une culture de l’action pour construire un avenir de paix et de liberté aux générations futures.
« Rien d’autre ne pourrait, ni ne saurait nous guider »
Mais…d’où provient cette voix rassurée qui jadis gonflée de rancœur et de colère nous réchauffait les os ? Serais-je aliénée par les fantômes de nos martyrs ? J’entends comme un souffle venu de très loin portant les mots des disparus que seul le poète peut ranimer. «…D aghuru…» n’était donc pas l’ultime message ? Nous te croyions parvenu au sommet de ton art et je sens un chant nouveau palpiter dans mes veines…Il vient de «…D aghuru…» : ce testament que tu nous as laissé et qui sert de rampe de lancement ! Il manquait…ah, Roulez tambours, sonnez trompettes…cela ressemble à un hymne, celui d’un jeune état célébrant, l’amour sacré de sa terre, la mémoire de nos aïeux, et la témérité de son peuple.
Sewjed imeslayen-ik, serreh i taghucht-ik, ssut-ik yak…yittbaεziq !
Nous entrevoyons un cortège, dont le dernier convoi est fait de 126 innocents, traverser les cieux de notre pays, brandissant l’étendard de notre liberté reconquise, par delà nos monts éternels. Danse, oh ! Vestale, tes enfants t’ont extirpée des griffes du tyran, ressuscitée à jamais du fin fond de l’oubli. Chante-leur Lwennas, notre liberté arrachée et qu’importe le sacrifice, l’autonomie sera… le dernier goût dans nos bouches… « Chante Matoub chante ! » et c’est nous qui bientôt … « POURRONS ALLER MOURIR TRANQUILLES », apaisés d’avoir renvoyé la bête immonde en dehors de nos frontières…pour vous restituer enfin la clef, tasarutt ugerruj-negh : D taεelamt n wegdud agrawliw.
Saadia.